Beethoven nous offre sa flamme et son énergie pour “tenir” en ces temps difficiles

La célébration du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven semble bien partie pour se poursuivre pendant encore de longs mois, en 2021 et au-delà, en tout cas en Allemagne. Quant à moi, qui conserve l’espoir de me produire en présentiel au moins à quelques occasions cette année, les producteurs continuent de me demander si je peux intégrer des œuvres de Beethoven à mes représentations. Au fond, toutes les années sont des années Beethoven.

Je suis toujours surprise de voir certains esprits militants mettre en avant une vision idéologique de son œuvre s’agissant notamment de la Symphonie n° 5, qu’ils présentent comme un hymne à l’impérialisme. Je crois plutôt que les changements radicaux de la France révolutionnaire faisaient partie intégrante de cette création artistique. Les transformations des temps résonnent à travers les symphonies. Et comme le disait le philosophe et musicologue allemand Adorno, l’écho de la Révolution «gronde dans la musique de Beethoven». Une analogie plus moderne pourrait, en ce sens, le comparer à l’écriture de Chostakovitch à l’époque de Staline.

L’homme et l’œuvre n’en conservent pas moins une vraie dimension universelle. Je suis chanceuse d’avoir, parmi tous les compositeurs, Beethoven comme compagnon de route pendant la pandémie. Je ne connais pas d’autre compositeur qui offre autant à son public et, surtout, à ses interprètes. Asseyez-vous au piano et pratiquez Beethoven pour quelques heures: loin d’en être fatigué, vous en retirerez au contraire une énergie renouvelée. Sa musique est un foyer chaleureux plein de réconfort.

La musique de Beethoven est souvent associée à la profondeur et à la tension. Or on redécouvre aujourd’hui qu’elle est aussi une pure expression de sa joie de vivre

J’ai entendu la musique de Beethoven pour la première fois à un concert des Proms de la BBC à Londres. J’avais 8 ans et c’était la Symphonie n° 5Le Motif du destin - un passage très connu, même pour un enfant de mon âge à l’époque. Je fus suspendue et transie par cet immense son orchestral. À mes 12 ans, mon professeur de piano m’a remis les volumes des partitions de Beethoven éditées par Artur Schnabel. Pour l’étude de chacune d’elles, j’ai consacré des heures et des heures à écouter tous les enregistrements par différents artistes. Puis ses trios ont été une nouvelle découverte. Et comme étudiante, c’est le trio À l’Archiduc (opus 97) qui m’a définitivement plongée dans le monde de Beethoven et a inspiré en moi une profonde fascination pour sa musique, et en particulier ses œuvres pour piano. Encore aujourd’hui, cette pièce reste l’une de mes favorites, avec le Concerto pour piano n° 4, une œuvre qui a nourri en moi de très beaux souvenirs de concert et d’enregistrement.

Contrairement à certains compositeurs, l’anniversaire de Beethoven n’implique pas de réévaluation ou de redécouverte de son œuvre. Il est indéniable que sa musique tient du génie et que ses pièces influencent encore aujourd’hui les compositeurs du XXIe siècle. Toutefois, s’il y eut une révélation à son propos en 2020, c’est qu’alors que sa musique est souvent associée à la profondeur et à la tension, on redécouvre qu’elle est aussi une pure expression de sa joie de vivre. À cet égard, le poème An die Freude (Ode à la joie ) de Schiller a hanté Beethoven dès le début de sa création. Ce poème a été publié en 1785 et il semble que Beethoven ait voulu le transposer en musique dès le début des années 1790. Même s’il n’y est pas parvenu avant la Symphonie n° 9, cela ne veut pas dire que des réminiscences de cette mélodie ne soient pas déjà perceptibles dans d’autres de ses œuvres.

Beethoven remplit sa musique avec une gamme considérable d’émotions. Dans ses premières compositions, il a repoussé toutes les limites, parfois même au sein d’une seule œuvre ; voyez la Sonate pour piano opus 10 n°3 avec son Largo ténébreux, ou le Quatuor à cordes opus 18 n° 1, dans lequel le second mouvement évoquerait la scène de la tombe de Roméo et Juliette. Le texte d’Ode à la Joie dans la Symphonie n° 9 n’est qu’un extrait, très adapté pour convenir au public. Lisez le poème entier et vous découvrirez un autre univers bouillonnant: extase religieuse, passion, folie, fraternité, égalité et bien d’autres éclats apparaissent alors comme un carnaval des plus festifs. Cet esprit se retrouve potentiellement même plus dans la Symphonie n° 7 que dans la n° 9.

Nous découvrons aussi en lisant sa correspondance un homme piégé entre deux siècles de grands tourments. Derrière le tempérament colérique, l’angoisse, la surdité, le mode de vie chaotique, les illusions, il y avait aussi un homme bon, généreux, intelligent, curieux, attentif et idéaliste à un degré rarement atteint ; un homme qui fut reconnu dès sa jeunesse pour son esprit vif et son intelligence d’exception, et dont l’exclusion de la société, qu’il s’infligea à lui-même à cause de sa surdité, fut un fardeau.

Un homme plein d’esprit, assurément ; sans aucun doute aussi un homme inflexible, comme «l’Immortelle Bien-aimée» elle-même allait le découvrir. Et fort, résistant, impressionnant par le sens qu’il avait de sa propre vocation. Il écrivit dans le Testament d’Heiligenstadt qu’il avait l’impression qu’il ne pourrait pas quitter ce monde tant qu’il n’aurait pas apporté tout ce qu’il avait à donner et exprimé tout ce qu’il avait en lui. Son art l’a maintenu vivant à un moment de sa vie où il aurait sans doute pu mettre fin à ses jours ; il ne vivait ensuite plus que pour son art.

Qui de plus humain et de plus attaché au progrès que Beethoven ? Ce passionné amoureux de la Révolution française et qui fut tant déçu par la dérive autoritaire de Napoléon devenu empereur ? Un artiste qui a voulu placer la liberté et l’égalité au sommet du monde avec la beauté, au point de mépriser certaines règles de la société. Peut-être avons-nous là le thème du prochain anniversaire Beethoven en 2027, pour les 200 ans de sa mort ?